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Migrer d’une langue à l’autre ? Apprendre la langue du pays d’accueil à l’heure du numérique

Journée d’étude organisée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France au Musée national de l’histoire de l’immigration le 21 novembre 2018, avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France – Modération Yvan Amar, journaliste à Radio France Internationale.

La sixième édition de cette Journée d’étude sur le thème Migrer d’une langue à l’autre ? s’est ouverte par les mots de bienvenue de la directrice générale du Palais de la Porte Dorée, Musée de l’Histoire de l’Immigration, Hélène Orain et ceux du nouveau Délégué général à la langue française et aux langues de France près le Ministère de la Culture, Paul de Sinety. Chaque année se redéfinissent les objectifs et les enjeux, chaque année tient ses promesses.

Son axe de réflexion et les expériences venant du terrain traitaient cette année des outils du numérique, en termes pédagogiques et présentaient les ressources, les formations et outils de l’apprentissage du français, en ligne. La définition des enjeux de l’apprentissage du français pour les migrants fut donnée dans un premier temps par Agnès Fontana, directrice de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité qui a présenté le Rapport d’Aurélien Taché député du Val d’Oise remis au Ministère de l’Intérieur en février dernier, « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France » et sa mise en œuvre. Dans un second temps, Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du musée national de l’Histoire de l’immigration, chargé d’une mission de coordination de l’action culturelle en faveur des migrants dans les établissements publics du ministère de la Culture a rappelé l’évolution des contextes entre la vague d’émigration du début du XXème où l’intégration se faisait par le travail, les années post-coloniales de 1960 à 1980 où la langue française était comme un tribut de guerre et aujourd’hui, l’effondrement des États et l’entrée de deux millions de personnes en Europe – y compris ceux issus de pays qui n’étaient pas dans l’histoire coloniale et ne procédaient pas de l’histoire culturelle européenne – ainsi que la crise de l’Union Européenne et la montée des nationalismes.

Les mécanismes d’intégration se font par la langue, le travail et le logement même si la question de la langue ne doit pas devenir un obstacle. En ce qui concerne la langue, Benjamin Stora reconnaît ceux qui, aux quatre coins de la France, donnent cours, issus notamment de réseaux bénévoles et propose que ce peuple invisible de formateurs soit porté à la connaissance de l’État et à la connaissance de tous, et qu’ils soient mis en réseau avec ce qui se passe dans le public, évitant que chacun ait ses réfugiés. Il parle aussi de l’aide à apporter aux artistes en exil pour faire vivre leur art et leur culture. C’est dans cet esprit que Visions d’exil, coproduit par le Palais de la Porte Dorée/Musée national de l’histoire de l’immigration, se déploie dans plusieurs lieux culturels dans et autour de Paris.

Plusieurs responsables politique ou représentants de structures ont ensuite partagé leur expérience comme Isabelle Devaux pour la Ville de Paris, François Pinel pour le Ministère de l’Intérieur, Pascale Gérard pour l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes et Pierre Henry, de France Terre d’Asile. Les différents outils d’apprentissage du français en ligne ont été présentés par l’Alliance Française, le Centre international d’études pédagogiques, Radio France International, TV5 Monde, la Bibliothèque Publique d’Information et plusieurs autres associations, ainsi que le lancement du parcours de formation réalisé par Bibliothèques Sans Frontières que préside Patrick Weil, universitaire spécialiste des questions d’immigration et de citoyenneté.

De fructueux débats se sont engagés avec l’auditoire autour des innovations, des cartographies des lieux d’apprentissage, des méthodologies de l’apprentissage par le cinéma, les mooc, blog, guides de ressources, et autres, par tous les outils mis aujourd’hui à disposition des migrants. La façon dont la langue a été portée et instrumentalisée, dans les territoires ex-coloniaux où le français, contraint et forcé, était familier, ou bien dans les pays hors de la zone d’influence française ne se pose pas de la même manière. Dans tous les cas elle met en jeu l’Histoire, la Nation et l’État et se doit d’être à l’écoute de ceux qui, pour un temps, perdent leurs repères et cherchent à se poser, à s’ancrer sur de nouveaux territoires et à s’insérer.

Cette Journée d’étude est un des maillons de la chaîne civique qui en brisant la distance permet de s’inscrire dans la logique du plaisir d’apprendre à partir de la multiplicité d’expériences vers une multiplicité de migrants venant de tous horizons et qui ne sont pas reconnus comme citoyens, dans leurs pays respectifs.

Brigitte Rémer, le 30 décembre 2018

Migrer d’une langue à l’autre ? Journée d’étude au Palais de la Porte Dorée – Musée national de l’histoire de l’immigration, 293 avenue Daumesnil, 75012. Métro Porte Dorée – Tél. : 01 53 59 58 60 – http://www.dglf.culture.gouv.fr/ – editions@palais-portedorée.fr

Lieux Saints partagés en Europe et en Méditerranée

Notre-Dame qui fait tomber les murs © MuCEM-IDEMEC. Manoël Pénicaud

Exposition au Musée National de l’Histoire de l’Immigration – Commissariat général : Dionigi Albera et Manoël Pénicaud, anthropologues.

Présentée en 2015 au Mucem, l’exposition Lieux Saints partagés en Europe et en Méditerranée se re-pense et se ré-écrit à chaque fois qu’elle fait escale. Première escale après Marseille, Paris. L’exposition a pour objectif de questionner le croisement et la coexistence des trois religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam, à partir d’une approche anthropologique. « Les lieux saint à la différence des lieux de culte – mosquée, église ou synagogue – sont habités par la puissance d’un personnage comme Abraham, Elie ou Marie. Ils deviennent ainsi de véritables lieux de pèlerinage avec une date et des interventions précises qui répondent à des démarches individuelles. C’est là qu’apparaît le phénomène de partage » dit Manoël Pénicaud, co-commissaire.

Un parcours en quatre étapes est proposé au visiteur. La première, Une terre sainte et saturée de sens, part de la lithographie de Marc Chagall, Abraham et les trois anges, emblématique du thème de l’hospitalité pour les trois religions et met Jérusalem sous le projecteur. Avant d’être le lieu des dissensions politiques comme elle l’est aujourd’hui, elle fut le symbole des trois monothéismes : le mizrah du judaïsme, mur qui oriente les prières vers Jérusalem, le Saint-Sépulcre des catholiques lieu de la Résurrection dont une maquette recouverte de nacre montre ici les détails, l’Esplanade des Mosquées pour l’Islam d’où le prophète Mohamed se serait élancé dans le ciel à partir de la mosquée Al Aqsa. La figure de Marie citée dans le Coran autant que dans la Bible apporte ses annonciations et ouvre sur la Basilique de la Nativité. L’exposition a retenu trois villes comme symboles de la coexistence des religions où, aujourd’hui encore et malgré les conflits, elles se côtoient : Hébron, peuplée d’une majorité de palestiniens musulmans et d’une minorité de colons juifs, ville sous haute tension depuis la Guerre des six jours de 1967 qui la plaçait sous autorité militaire puis administrative israélienne, et où, de fait, le Caveau des Patriarches se trouve partagé entre musulmans et juifs. La grotte d’Elie sur le Mont Carmel, près d’Haïfa au nord d’Israël, lieu de pèlerinage où se retrouve les trois religions, complétées de la confession Druze qui s’appuie sur l’unité absolue de Dieu, synthèse du mysticisme musulman ainsi que du syncrétisme d’autres religions, entre autre perse et indienne. Le tombeau du prophète Samuel situé au nord de Jérusalem sur le site de Mitzpah qui a érigé une mosquée sur les vestiges d’une église médiévale et où les rites, depuis toujours, sont partagés entre juifs et musulmans.

Faisant le constat que les îles, plateformes pour le commerce et la navigation, sont souvent un point de contact entre civilisations rivales et souvent hostiles, les commissaires ont intitulé cette seconde étape de l’exposition Des îles carrefour. Qui eut pensé que dans l’actualité tragique de Lampedusa avec l’arrivée massive de migrants, cette île cachait dans une grotte, un oratoire dédié à la fois à la vierge et à un saint musulman, et qu’au Siècle des Lumières elle représentait un idéal utopique qui inspira Diderot et Rousseau ? Que Djerba en Tunisie cache une histoire où se mêlent des récits juifs et musulmans et où nombre de juifs tunisiens contraints à l’immigration y reviennent en pèlerinage, à la recherche de leurs racine ? Que l’île de Büyükada au large d’Istanbul accueille dans le monastère grec orthodoxe de Saint-Georges dit le Monastère des musulmans des fidèles de toutes confessions, majoritairement non chrétiens ? Que La Canée, située sur la côte nord-ouest de l’île grecque de Crète était un creuset interculturel et multiconfessionnel ? L’exposition en apporte les traces par de nombreux objets, bijoux, amulettes, carreaux de faïence, photos, sculptures et ex-votos.

D’une rive à l’autre, troisième étape, parle de conquêtes et de colonisation et témoigne des déplacements de population. Ainsi, dès le XIXème siècle, la conquête française de l’Algérie et les symboles catholiques essaimés, tels statues, églises et chapelles. La figure de Marie est un symbole récurrent qu’on trouve dans de nombreuses villes d’Algérie comme Notre-Dame-d’Afrique à Alger ou Notre-Dame-de-Santa-Cruz à Oran, les musulmans s’en sont emparés et ont poursuivi leurs dévotions après la décolonisation. L’émir Abd El Kader, chef de la résistance algérienne contre la colonisation, est une figure phare du dialogue inter-religieux. L’exposition le présente sous l’angle de la spiritualité, de la tolérance et de l’étude des textes, dans une volonté du dialogue islamo-chrétien : « Si tu penses que Dieu est ce que croient les diverses communautés – musulmans, chrétiens, juifs, mazdéens, polythéiste et autres – il est cela et autre que cela » écrit-il. Des Roms, chrétiens et musulmans prient au Sanctuaire Sainte-Rosalie de Palerme, lors d’une fête annuelle nommée Hederlezi. Les Tamouls, chrétiens et hindous, dont une communauté importante s’est installée dans la ville, s’y rendent aussi pour prier.

La quatrième et dernière étape de l’exposition nommée Bâtisseurs de paix, présente, dans une première partie les trajectoires de personnalités qui ont établi des passerelles entre les religions et les cultures : Louis Massignon, grand orientaliste et professeur au Collège de France, qui fut médiateur auprès de l’église catholique pour la reconnaissance de l’Islam. L’un de ses disciples spirituels, Paolo Dall’ Oglio, un jésuite italien qui a fondé à partir de 1982 un monastère en Syrie dédié à l’hospitalité et au dialogue interreligieux et qui est aujourd’hui retenu à Raqqa, par l’organisation Etat Islamique. André Chouraqui, issu du Judaïsme, traducteur de la Torah, de la Bible et du Coran qui fut un passeur, engagé dans le dépassement des conflits.

La seconde partie sur les Bâtisseurs de paix met l’accent sur les initiatives novatrices des projets architecturaux qui favorisent la rencontre et le dialogue interconfessionnels. Ainsi, la Basilique universelle de la paix et du pardon de la Sainte Baume, s’inscrit dans le mouvement d’après-guerre du renouveau de l’Art sacré en France. Un entrepreneur, Edouard Trouin souhaitait y construire, au-delà de la Basilique, une Cité de la contemplation. Il avait mobilisé Fernand Léger pour illustrer le projet et Le Corbusier pour la conception de la cité d’accueil des pèlerins dont ce dernier réalisa les plans, pour un projet qui ne verra pas le jour. L’exposition évoque aussi ces espaces intermédiaires que sont les lieux de prière et de méditation interconfessionnels dans les aéroports et House One à Berlin, projet de maison de prière et d’enseignement des trois religions conçu par l’agence d’architecture Kuehn Malvezzi. Elle montre aussi : l’œuvre architecturale de Nikos Stavroulakis, autre figure du judaïsme méditerranéen fils d’un père grec orthodoxe et d’une mère juive originaire d’Istanbul, artiste, professeur d’histoire et directeur du Musée juif d’Athènes, restaurateur de la synagogue Etz Hayyim à la Canée, en Crète ; un Lieu de recueillement et de prière conçu par Michangelo Pistoleto en 2009 ; des photos réalisées par Alain Bernardini entre 2003 et 2011, sous le thème Les Désactivés mettant en situation des responsables religieux déplacés dans un autre lieu de culte que celui de leur appartenance ;  la quête spirituelle de Cheikh Khaled Bentounès, né en Algérie, guide de la confrérie soufie Alâwiyya. « Plus nous serons nombreux à choisir de mieux vivre ensemble, plus notre engagement changera le monde » dit-il.

Travailler sur les identités religieuses aujourd’hui n’est pas chose facile. A ce titre, l’exposition relève du défi et a une réelle utilité, historique et pédagogique. Les deux anthropologues commissaires de l’exposition, Dionigi Albera et Manoël Pénicaud, directeur et chargé de recherche au CNRS, directeur et membre de l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative (IDEMEC) à la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, en ont assuré l’élaboration et le contenu scientifique. Conçue comme une déambulation dans le Bassin Méditerranéen, l’exposition utilise tous types de supports comme photos anciennes et récentes, icônes, manuscrits, dessins et tableaux, vidéos et films documentaires, atlas, bijoux, livres sacrés, amulettes, carreaux de céramique, maquettes, statuaires etc… Ce qui compte, au-delà de l’objet présenté, c’est la pensée qui guide le parcours et la place dans l’histoire de l’immigration, dans celle des croyances et des comportements religieux en un geste d’humanisme. Entre ouverture et fermeture, frontières et nœuds de circulation, l’exposition Lieux Saints partagés en Europe et en Méditerranée montre les interactions entre fidèles de religions différentes et recherche du mieux vivre ensemble. Une utopie et un espoir compte tenu de la complexité du monde contemporain.

Brigitte Rémer, le 6 janvier 2018

Du 24 octobre 2017 au 21 janvier 2018, Musée National de l’Histoire de l’Immigration – Palais de la Porte Dorée 293 avenue Daumesnil. 75012 – tél. : 01 53 59 64 30 – mail : palais-portedoree. fr – métro : Porte Dorée. Un catalogue, Coexistences en Europe et en Méditerranée, a été co-édité par le Musée National de l’Histoire de l’Immigration et Actes Sud.